Mossoul, ville millénaire et carrefour des cultures, a vécu l’une des périodes les plus sombres de son histoire sous l’occupation de Daesh. Parmi les nombreux symboles détruits, le minaret Al-Habda, emblème du patrimoine irakien, a été dynamité en 2017. Aujourd’hui, grâce aux efforts de l’UNESCO et de la communauté internationale, il retrouve sa place dans le ciel de Mossoul. Cette renaissance dépasse le simple cadre architectural : elle représente un espoir pour les habitants et un modèle pour la préservation du patrimoine en zones post-conflits.
Rappel des faits : la destruction du minaret et de Mossoul
Mossoul, ville située au nord de l’Irak, est depuis des siècles un carrefour de civilisations. Son nom, al-Mawsil en arabe, signifie « le point de rencontre », soulignant son histoire multiculturelle et sa diversité religieuse. Pendant plus de 2500 ans, elle a été un centre de savoir, d’échanges et de coexistence entre différentes communautés : musulmans sunnites et chiites, chrétiens, Yezidis, Kurdes et Turkmènes.
L’un des symboles les plus emblématiques de cette identité plurielle était le minaret Al-Hadba, construit au XIIe siècle sous le règne de Nur ad-Din Zangi. Haut de 45 mètres et célèbre pour son inclinaison prononcée, il dominait le paysage moussouliote, accompagné du clocher de l’église dominicaine Notre-Dame de l’Heure, offert aux habitants par l’impératrice Eugénie de France à la fin du XIXe siècle.
En juin 2014, Daesh s’empare de Mossoul et y installe son califat. Cette occupation marque le début d’une période de terreur : exécutions de masse, persécutions des minorités, destructions des symboles culturels et religieux. Les chrétiens et les Yézidis sont particulièrement visés, sommés de se convertir sous peine de mort ou de fuite. Les cafés ferment, les artistes sont pourchassés, et les lieux de culture sont systématiquement détruits.
La Grande Mosquée Al-Nouri, où se trouvait le minaret Al-Hadba, est transformée en un symbole de l’oppression islamiste. C’est depuis ce lieu qu’Abou Bakr al-Baghdadi proclame, en juillet 2014, la création du califat de Daesh, plongeant la région dans la violence et la destruction.
Pendant trois ans, Mossoul devient le bastion irakien du groupe terroriste. Son patrimoine est méthodiquement pillé ou détruit : des milliers de manuscrits rares et d’objets anciens sont brûlés ou revendus au marché noir. Le couvent Al Saa’a - Notre-Dame de l’Heure - est transformé en centre de formation de djihadistes, tandis que ses annexes deviennent des prisons et des lieux de torture.
En octobre 2016, l’armée irakienne et une coalition internationale lancent une vaste offensive pour reprendre Mossoul. Pendant neuf mois, la ville est le théâtre de combats acharnés, causant d’importants dégâts humains et matériels. La vieille ville, cœur historique de Mossoul, est particulièrement touchée.
Alors que Daesh est acculé en juillet 2017, ses combattants choisissent de ne pas laisser derrière eux les symboles de la ville. Avant de fuir, ils dynamitent le minaret Al-Hadba et la Grande Mosquée Al-Nouri, détruisant en un instant des siècles d’histoire.
Toutefois, même dans le chaos, un sursaut d’espoir subsiste : une chaîne humaine formée par des habitants courageux parvient à limiter les destructions, sauvant ainsi certaines parties de ces monuments emblématiques. Malgré cela, lorsque Mossoul est enfin libérée, la ville n’est plus que ruines.
Face à cette désolation, une question se pose : comment reconstruire Mossoul sans effacer son identité ? C’est dans ce contexte que l’UNESCO décide d’agir, lançant un projet de reconstruction pour redonner à Mossoul son âme et à ses habitants une raison d’espérer.
La reconstruction par l’Unesco : un chantier titanesque
Face à l’ampleur des destructions causées par la guerre, l’UNESCO a décidé d’intervenir de manière inédite en lançant, en février 2018, l’initiative « Faire revivre l’esprit de Mossoul ». Ce projet ambitieux ne se limite pas à la simple restauration des bâtiments : il vise à réhabiliter l’identité de la ville en intégrant pleinement ses habitants dans le processus de reconstruction.
Lorsque l’UNESCO prend en charge la coordination et la conduite directe des travaux, la situation sur le terrain est extrêmement difficile. La vieille ville de Mossoul est détruite à 80%, ses rues sont jonchées de débris et de bombes non explosées, et une grande partie de la population est toujours déplacée. Reconstruire dans un tel contexte demande un travail colossal de déminage, de nettoyage et de consolidation des structures restantes avant même de commencer la restauration.
L’organisation mobilise des experts internationaux, des architectes, des ingénieurs et des artisans spécialisés dans la préservation du patrimoine. Une vaste consultation populaire est menée afin d’impliquer les Mossouliotes et de s’assurer que la reconstruction respecte l’histoire et l’identité culturelle de la ville.
Grâce aux financements de plus de 115 millions de dollars apportés par les Emirats Arabes Unis, l'Union européenne et d'autres partenaires internationaux, les travaux peuvent débuter. Ce projet ne se limite pas à la restauration du patrimoine religieux et historique, mais englobe également la rénovation de 400 salles de classe, le soutien à l’université, la formation de plus de 5000 enseignants et éducateurs à des programmes d’éducation à la paix, et le développement d’initiatives culturelles comme la relance des festivals et des centres d’art.
Le minaret Al-Hadba est l’un des éléments les plus symboliques de cette reconstruction. Les travaux sont menés avec le souci de préserver son apparence d’origine tout en renforçant sa structure pour assurer sa durabilité. Les architectes et ingénieurs, en collaboration avec des artisans locaux, optent pour des techniques traditionnelles, utilisant des matériaux similaires à ceux du XIIe siècle. Pour respecter son inclinaison historique, le minaret est reconstruit en conversant son inclinaison de 160cm, comme il l’était avant sa destruction. 26 000 briques d’origine sont réutilisées pour l’extérieur, tandis que 96 000 nouvelles briques sont fabriquées pour la structure interne. Ce processus permet non seulement de restaurer l’aspect architectural du minaret, mais aussi de former de nombreux ouvriers et artisans irakiens aux métiers du patrimoine. Plus de 2800 travailleurs locaux sont ainsi impliqués dans les différents chantiers de restauration p, contribuant à relancer l’économie locale et à redonner un savoir-faire précieux aux populations.
En parallèle de la reconstruction du minaret, l'UNESCO restaure d’autres sites majeurs de la ville. L’église syriaque catholique Al-Tahira, le couvent dominicain Notre-Dame de l’Heure, ainsi que 124 maisons historiques sont réhabilités, permettant à de nombreuses familles de revenir habiter la vieille ville.
En redonnant vie à ces lieux chargés d’histoire, l’Unesco ne se contente pas de reconstruire des murs : elle restaure une mémoire collective et un esprit de communauté indispensable pour que Mossoul puisse véritablement renaître. Cette intervention en Irak fait désormais école et sert de modèle pour d’autres zones sinistrées par les conflits, comme le Liban après l’explosion du port de Beyrouth en 2020 ou l’Ukraine, où l’Unesco travaille à la protection du patrimoine et à la continuité de l’éducation en temps de guerre.
Restaurer une mémoire collective après le traumatisme pour le pays et ses habitants
La destruction du minaret Al-Hadba et de la vieille ville de Mossoul ne relevait pas uniquement d’une stratégie militaire : il s’agissait d’une volonté d’effacer l’identité historique et culturelle de la ville. En dynamitant des monuments vieux de plusieurs siècles, Daesh ne s’attaquait pas seulement aux bâtiments, mais à la mémoire collective des Mossouliotes. La reconstruction menée par l’Unesco permet donc de redonner aux habitants les repères visuels et culturels qui ont façonné leur identité.
Le minaret Al-Hadba, surnommée " la bossue" par les habitants, était bien plus qu’un simple édifice religieux : il était un point de référence dans la ville, un symbole de son histoire et de son multiculturalisme. Pour beaucoup de Mossouliotes, revoir le minaret s’élever dans le ciel représente un signe de renaissance et de continuité avec le passé.
Au-delà de l’aspect symbolique, la reconstruction du patrimoine a permis aux habitants de reprendre possession de leur ville. Pendant l’occupation de Daesh, les lieux emblématiques de Mossoul étaient détournés de leur fonction première : la Grande Mosquée Al-Nouri servait de lieu de proclamation du califat, tandis que l’église Notre-Dame de l’Heure était transformée en centre de formation de djihadistes. Le fait que ces sites retrouvent aujourd’hui leur rôle d’origine est une victoire sur l’oppression et une preuve que Mossoul n’est pas condamnée à être définie par la guerre et la destruction.
L’exemple de Mossoul dépasse largement les frontières de la ville. Il démontre que, même après une destruction presque totale, une communauté peut se relever et reconstruire son histoire. Comme l’a souligné Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, ce projet est une victoire du multilatéralisme, prouvant que la coopération internationale peut avoir des effets concrets et durables.
En reconstruisant Mossoul, l'UNESCO et ses partenaires ne se sont pas contentés de rebâtir des murs : ils ont restauré une mémoire, une identité et un espoir collectif, permettant aux Mossouliotes de regarder vers l'avenir sans oublier leur passé.
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Lexique
Minaret : Tour, souvent située près d'une mosquée, d'où un muezzin appelle à la prière. C'est un élément architectural typique dans l'architecture islamique, généralement très élancé et parfois décoré de motifs.
Califat : Territoire dirigé par un calife, qui est un chef politique et religieux dans l'islam.
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